Historique

Capitale Wisigothique: En 462 Narbonne et sa région (la Septimanie), tombent aux mains des Wisigoths et au début du siècle suivant, elles constituent la province la plus septentrionale de leur royaume d’Espagne. La période wisigothique durera prés de quatre siècles et Narbonne sera capitale.

LES WISIGOTHS A NARBONNE

            La présence des Wisigoths à Narbonne s’inscrit dans la longue durée, de 414 à 711 de notre ère, soit sur plus de quatre siècles. Pourtant on connaît mal cette histoire par manque de documents et on l’a souvent réduite à l’histoire micro-événementielle des querelles dynastiques qu’il est parfaitement inutile de reprendre ici. Il est préférable de prendre en compte les apports tout à fait actuels de l’archéologie – sans en en être le moins du monde averti – qui bouleversent l’image longtemps admise. De façon traditionnelle, celle-ci oppose la « barbarie » de ces siècles à la « civilisation » des six siècles romains, de la fondation de Narbo Martius en 118 avant JC aux deux siècles de la Paix romaine et aux deux siècles du Bas-Empire. Loin de détruire la culture latine, la période en a plutôt assuré la diffusion et l’intégration dans le creuset narbonnais.

Les étapes de l’histoire wisigothique à Narbonne

Narbonne face aux invasions barbares 260 – 410 après JC.

            La ville augustéenne largement étendue sur la rive gauche de l’Atax (ancêtre de l’Aude) a joué un rôle prestigieux de capitale de la Gaule romaine, Elle en avait, par ses monuments et ses institutions, la puissance et le rayonnement. La ville se contracte sur sa partie centrale, abandonnant même à l’extérieur ses monuments comme l’amphithéâtre. La construction des remparts vers 260 coïncide avec la première vague d’invasion des Alamans. Les vagues suivantes des Vandales, des   Alains, des Suèves, épargnent Narbonne. L’installation des Wisigoths dans la ville en 414 marque la fin d’un périple des rives de la Mer Noire à la prise de Rome en 410 et à la sédentarisation d’un peuple nomade. Le faible nombre des Goths ne submerge pas la population gallo-romaine de la ville et de ses environs.

            Les Wisigoths dans Narbonne 414 – 461.

            Le roi Athaulf entre dans Narbonne « au temps des vendanges » en général vainqueur mais aussi en garant de l’ordre impérial qu’il est seul capable de faire respecter. L’épisode célèbre de ses noces le 1er janvier 414 avec Galla Placidia, fille de l’empereur d’Orient Théodose I, marque à la fois le triomphe d’un chef barbare et sa romanisation complète. Voir en annexe le récit de l’historien grec Olympiodore. Cet établissement se fait par le foedus ou traité de 418 où ils sont chargés d’assurer la sécurité en échange  de terres distribuées par le roi à ses guerriers. Les Wisigoths conservent leur manière de vivre, leur structure sociale, leurs lois. Ils ont un statut de fédérés qui fixe leur rôle militaire, par exemple en 436 dans une opération contre Narbonne. Au cours de cette attaque, il se peut que l’ancienne cathédrale ait été détruite. L’évêque Rusticus entreprend en 441 la construction d’une nouvelle cathédrale. Le linteau est conservé au musée archéologique en décrivant les conditions. Voir en annexe une traduction de la dédicace. Narbonne dispose à cette époque de sept églises.

            Narbonne dans le royaume de Toulouse 462 – 507

            En 462 le roi Théodoric II étend sa domination jusqu’au Rhône et ainsi Narbonne passe entièrement sous la domination wisigothique. La ville elle-même se trouve investie et les monuments antiques – ou du moins ce qu’il en reste – sont occupés par les nouveaux maîtres. Le forum devient palais. Le fameux poème de Sidoine Apollinaire énumère les monuments de la splendeur narbonnaise, peut-être pour en marquer le souvenir. Tout en célébrant la puissance nouvelle, c’est bien l’éclat romain qui est magnifié.

La césure que l’histoire a retenue est celle de 476 marquant la chute de l’Empire d’Occident et donc la fin de la souveraineté romaine. Dans les faits le pouvoir politique appartient au souverain goth. Alaric II veut actualiser le droit romain en l’appliquant à ses sujets barbares du fait de la disparition de l’Empire. Il charge le juriste Léon, une personnalité de Narbonne, de la rédaction de ce code qui deviendra le Bréviaire d’Alaric.

Narbonne capitale wisigothique 507 – 554

Cette étape est la conséquence directe de la bataille de Vouillé en 507, affrontement entre les Francs au nord et les Wisigoths au sud. La défaite et la mort d’Alaric II entraîne la perte de l’Aquitaine et le repli vers l’Espagne. Narbonne qui était capitale religieuse accède au rang de capitale politique. La Septimanie constitue un territoire important du Lauragais au Rhône et des Cévennes aux Pyrénées. Pendant 40 ans, Narbonne est la capitale d’un royaume qui s’étend jusqu’en Espagne. Cette prédominance ne dure pas au-delà du règne d’Amalric. Dans une période de troubles, la capitale est transférée d’abord à Barcelone et à Tolède ensuite.

La Septimanie dans le royaume de Tolède 555 – 711

La Septimanie devient une marche de l’Espagne et Narbonne perd son influence même si elle reste un centre important d’émission de monnaie. Au plan religieux, la création des évêchés d’Elne, Carcassonne et Maguelone restreint encore cette influence. D’ailleurs la conversion de Récared au catholicisme nicéen en 589 isole encore Narbonne où la tradition arienne est restée forte. Une ultime tentative d’autonomie locale a lieu en 673 avec le duc Paul. En 711 l’invasion berbère marque la victoire de l’Islam sur les Wisigoths.

Peuples et civilisations en Septimanie

Une société duale

Tout d’abord il est nécessaire de garder en mémoire que la période wisigothique appartient bien au temps de l’homme rare. Dans ce vaste espace du Rhône aux Pyrénées, les estimations placent moins de 500.000 habitants quand l’Espagne entière en compterait 8 à 9 millions. Parmi eux, l’apport barbare serait estimé à 25.000 dans la proportion de 1/20ème . Mais pour autant les terres sont bien occupées, dans  une utilisation agricole à faible rendement.

Cette population s’organise en nations distinctes l’une de l’autre : Goths et Romains. On voit bien que cette distinction date de la migration et de l’arrivée en 414. Elle subsiste presque deux siècles plus tard car elle est encore vivace au concile provincial de Narbonne en 589 quand la Septimanie est une province du royaume ibérique.

L’opposition est au plus profond de nature religieuse. Les Wisigoths sont chrétiens certes mais de façon bien différente de l’orthodoxie romaine. Ils sont ariens. Selon la doctrine de l’arianisme, le Christ est une créature de Dieu et non Dieu lui-même. C’est un monothéisme, plus strict, plus dépouillé. La religion « catholique » est devenue religion de l’Empire depuis l’édit de Constantin en 313 et le dogme a été précisé au concile de Nicée en 325. Le royaume wisigothique fait donc cohabiter « Ariens » et « Nicéens ». L’affrontement peut être plus violent et depuis la conversion de Clovis en 476 il dresse les Wisigoths ariens contre les Francs orthodoxes. C’est l’objet même de la bataille de Vouillé en 507. Cette distinction traverse la société de Septimanie, interdisant les conversions comme les mariages mixtes. Pourtant les deux communautés vivent en bonne harmonie avec la liberté de culte.

Deux communautés parallèles

On appelle « Romains » les habitants dont les ancêtres étaient gallo-romains. On dit ainsi leur complète intégration à la civilisation romaine depuis plus de six siècles en fait. Ils sont romains d’abord par la langue puisqu’ils parlent latin, bien sûr un latin qui a évolué depuis la période classique de façon propre à chaque province. Il a intégré des mots étrangers, il a simplifié sa grammaire. Mais il reste un latin compréhensible de tous. La romanité se perçoit dans les règles de la vie courante qui sont fixées par le droit, un droit écrit. Ils sont catholiques et baptisés.

Les Goths se distinguent par leur aspect physique, leur chevelure, leurs vêtements. Ils arborent des tenues guerrières avec plaques de ceinture et motifs décoratifs. Surtout ils occupent des fonctions militaires, assurent la protection. Leurs coutumes, leur droit, leurs lois familiales sont différentes car centrés sur la famille. La langue gothe est toujours utilisée jusqu’à la fin du VIème siècle car elle est en usage dans la liturgie arienne. Elle utilise une écriture propre dérivée du grec. Les Goths vivent dans des domaines agricoles qui leur sont attribués. Une hypothèse est avancée par la toponymie qui suggère que la terminaison – ENS indiquerait une telle origine. On les trouve nombreux entre Carcassonne et Lézignan comme Argens, Badens, Douzens.

L’amalgame au VIème siècle

La fusion entre les deux communautés s’est opérée très lentement car les mariages mixtes sont restés limités à l’aristocratie. Les alliances de pouvoir ont rapproché les administrateurs ou le clergé « romain » des chefs militaires « goths ». Une langue commune héritière du latin les a facilitées. Les mariages mixtes, d’abord tolérés, deviennent licites. Plus décisive encore est la levée de l’opposition religieuse. Au concile de Tolède de 589 l’arianisme est abandonné et les Goths se rallient au catholicisme nicéen. Un concile de Narbonne est exactement contemporain. L’amalgame est réalisé dans la dernière phase de l’histoire wisigothique.

Traces et héritages

Des traces ténues connues depuis longtemps

On a longtemps considéré que les longs siècles wisigothiques n’avaient laissé que peu de traces archéologiques et donc peu d’informations sur cette période historique. C’était une Antiquité tardive ou un haut Moyen Âge n’ayant pas le prestige des périodes alentour. L e « Répertoire archéologique du département de l’Aude » de 1941 écrit « L’histoire de la domination des Wisigoths et leur établissement à Carcassonne est encore entourée de beaucoup de mystères. On a trouvé quelques objets dans les environs de la Cité … ».

On peut classer les vestiges archéologiques en trois catégories. Les découvertes de pièces sont nombreuses comme à Argeliers, Armissan, Castelnau, Mayronnes ou Salles. Elles ont fourni d’intéressantes informations sur l’histoire wisigothique. Elles ont aussi accrédité le mythe du trésor d’Alaric II qui aurait été caché dans la montagne éponyme juste après la bataille de Vouillé. Elles ont enflammé les imaginations et les affabulations de l’abbé Saunières.

Les découvertes de cimetières couvrent un espace plus grand. Il s’agit souvent de tombes isolées (Ornaisons, Sigean, Jonquières)  mais également de véritables nécropoles comme à Tournissan, Narbonne, Bram, Estagel ou encore Tautavel. Outre les informations ponctuelles sur le mobilier funéraires, elles confirment la vaste emprise spatiale des Wisigoths.

L’attribution à notre période de vestiges architecturaux a été fort imprécise pendant longtemps. Dans plusieurs cas on se contentait d’attribuer une telle origine aux assises de monuments postérieurs. C’est le cas à la Cité de Carcassonne. Un exemple rare de chapelle wisigothique est à trouver à Villesèque des Corbières et sa chapelle de Gléon.

Des recherches récentes qui ouvrent des perspectives

Deux sites archéologiques ont été explorés ces dernières années sur le golfe antique narbonnais. Ils éclairent d’un jour nouveau la question posée depuis longtemps du système portuaire de la cité. Il s’agit du site archéologique de l’île Saint-Martin à Gruissan qui a révélé un véritable complexe maritime avec une grande villa, des galeries, des portiques, des espaces artisanaux constituant une sorte de préfecture maritime contrôlant l’entrée par l’étang de l’Ayrolles le port de Narbonne. Il a fonctionné du II° siècle avant JC jusqu’au VI° siècle après JC.

Le site archéologique du Grand Castellou en bordure de l’étang de Bages est l’ouverture maritime de Narbonne. C’est un grand chenal aménagé pour  les liaisons maritimes. Il a également fonctionné pendant plusieurs siècles. L’aménagement des berges montre le réemploi de vestiges arrachés aux plus grands monuments narbonnais. Il fournit ainsi la preuve que l’activité maritime s’est poursuivie pendant la période wisigothique.

Ces deux unités ont fonctionné à l’échelle de la Méditerranée établissant des relations commerciales, économiques et culturelles avec les grands centres comme Ostie, Séville ou Carthage. Cela replace donc l’histoire wisigothique dans sa véritable dimension.

L’apport des Wisigoths en Septimanie est sans doute en train de changer. Considérés come « barbares » dans l’historiographie ancienne, ils s’opposaient à la tradition romaine. Dans un processus lent étendu sur presque trois siècles, l’amalgame s’est opéré, certainement au bénéfice de la romanité.

LE MARIAGE DE GALLA PLACIDIA

« Le mariage de Placidia est célébré lorsque janvier est venu, dans la ville de Narbonne, en la maison d’Ingenius, premier des habitants. Placidia s’étant assise d’abord sur le lit nuptial orné à la romaine, Athaulf, revêtu du manteau et l’habit des Romains, prend place à ses côtés. A cette occasion, en plus des autres présents de noces, il lui offre cinquante beaux jeunes gens vêtus de soie, portant chacun dans leurs mains deux grands plateaux, l’un plein d’or, l’autre de pierres précieuses ou plutôt sans prix, qui sont les dépouilles de Rome enlevées lors de son pillage. Puis on récite des épithalames. Alors Attale chante le premier, ensuite Rusticius et Phoebadius. Et le mariage est célébré au milieu des jeux et de la joie où Barbares et Romains se confondent. »

                                                                                                          Olympiodore (Fragment 24)

LE LINTEAU DE LA CATHEDRALE DE RUSTICUS

Traduction

« Avec l’aide de Dieu et du Christ, ce linteau de porte a été placé la quatrième année de la construction de l’église alors que l’empereur Valentinien exerçait le consulat pour la sixième fois [445], le 3 des calendes de décembre [29 novembre] dans la dix-neuvième année d’épiscopat de Rusticus.

L’évêque Rusticus est le fils de l’évêque Bonosus, le neveu de l’évêque Arator par sa sœur, compagnon de monastère de l’évêque Venerius, prêtre de l’église de Marseille en même temps que ce dernier. Il a, dans sa quinzième année d’épiscopat, le troisième jour avant les ides d’octobre [13 octobre 441] avec l’aide du prêtre Ursus, du diacre Hermès, commencé de reconstruire les murs de l’église auparavant détruite par un incendie. Au 37ème jour il a commencé de poser les pierres taillées sur les fondations. La deuxième année de construction le septième jour avant les ides d’octobre [9 octobre 443] le sous diacre Montanus a terminé l’abside. Marcellus, préfet de Gaule, le fidèle de Dieu, a sollicité l’évêque d’accepter cette charge lui promettant les moyens nécessaires, le versement par lui pendant les deux ans que sa fonction durera, de 600 solidi pour le salaire des ouvriers et de 1500 solidi pour les travaux. S’y ajoutèrent les dons de l’évêque Venerius 100 solidi ; de l’évêque Dynamius 50 solidi ; d’Oresius 200 solidi ; d’Agroecius … de Deconianus, … de Salutius. »

Eléments de  bibliographie

Michaud Jacques. Histoire de Narbonne. Editions Privas 1981

Catafau Aymat. Consolidation de la romanité et apports germaniques. In Nouvelle histoire du Roussillon. Editions Trabucaire 1999

Labouysse Georges. Les Wisigoths. Editions Loubatières 2006

Bonnery André La Septimanie au regard de l’histoire. Editions Loubatières 2005

Synthèse réalisée par Gilbert GAUDIN en Février 2015